Biologie végétale

Règne végétal

Un peu d’histoire

Il a toujours été important pour l’homme de pouvoir distinguer les espèces végétales, d’en reconnaître les traits structuraux saillants (caractères clefs) et de les identifier; la taxinomie est donc profondément ancrée dans les diverses cultures du globe.

Cependant les systèmes de classification des plantes supérieures ont été élaborés, pour la flore de nos régions essentiellement à partir d’une base européenne dont on retracera brièvement l’historique. Nous terminerons par les méthodes actuelles qui révisent profondément la classification. L’Angiosperm Phylogeny Group (A.P.G) est un consortium international qui rassemble toutes les informations biochimiques, biologiques (pathogènes et parasites par exemple), chorologiques, paléontologique, morphologiques et génétiques afin de revoir profondément la classification des différents niveaux de classification, surtout en ce qui concerne  les ordres des végétaux.

L’histoire de la systématique peut être divisée en 6 parties :

  1. L’Antiquité
  2. La Renaissance- Les Herboristes
  3. Les systèmes artificiels de classification
  4. Les systèmes naturels de classification
  5. Les systèmes phylogénétiques
  6. La systématique et phylogénie moderne

1. Antiquité

Les philosophes grecs de l’Antiquité (avec leur maître Aristote), deux millénaires avant Darwin, ont reconnu l’évolution graduelle des formes de vie. L’un des premiers essais connus de classification de la flore locale est celui de Théophraste (370-285 av..J-C), élève d’Aristote. Ses traités de botanique livrent, entre autres, un classement systématique d’environ 500 espèces selon leur port (arbre, arbuste, herbe etc.) et la présence ou l’absence de fleurs. Certains noms génériques (Daucus, carotte ; Asparagus, asperge : Narcissus, jonquille) datent de cette époque. . Il est à l’origine de la différenciation théorique entre le règne animal et le règne végétal, distinction qui permit la naissance d’une véritable nouvelle discipline à part entière, possédant ses propres méthode et vocabulaire : la botanique. Un médecin militaire romain, Dioscorides (1er siècle apr. J-C) ajouta ensuite une centaine d’espèces de la région méditerranéenne et son ouvrage, Materia medica, décrit les plantes et leurs usages médicinaux. Il constitua des groupes naturels d’espèces qui correspondent à des familles modernes bien définies (Fabaceae, Apiaceae, Lamiaceae). En Inde, Surapala dans Vrikshayurveda (La Science de la vie des plantes), publié en Sanskrit aux environs du 10e siècle, décrit 170 espèces végétales de l’Inde et particulièrement leurs propriétés médicinales ; il établit un classement selon leur port et leur mode de reproduction. Les érudits du Moyen-Âge ne poursuivirent pas ces efforts et se contentèrent d’exploiter les travaux des Grecs et Romains. Néanmoins Albert le Grand (1193-1280), dominicain théologien et philosophe, élabora un système de classification qui distingue, pour la première fois les Monocotylées et Dicotylées. Photo 1 : Photographie d’une page de Materia medica de Dioscorides

2. La Renaissance – Les Herboristes

La Renaissance fut une période active d’études et d’explorations et avec l’invention et la diffusion de l’imprimerie (1440), plusieurs ouvrages traitant des simples (plantes médicinales) et de leurs propriétés furent produits en Europe à l’usage essentiellement des médecins.

En raison de la diversité des espèces européennes utiles et de l’introduction d’espèces nouvelles par les explorateurs, les herboristes durent étendre et améliorer les travaux des « anciens » pour structurer et ordonner la diversité du règne végétal.

Plusieurs familles et genres nouveaux furent établis durant cette période et les plantes furent, pour la première fois, décrites à l’aide de gravures sur bois ou cuivre.

Parmi ces « herboristes », nous retiendrons :

  • Leonhard Fuchs – Allemand (1501-1566) – qui publia en 1542 De historia stirpium fondé essentiellement sur Dioscorides. Les illustrations d’une très grande précision influencèrent les ouvrages ultérieurs. L’ouvrage était accompagné d’un chapitre « Explication des termes difficiles », premier glossaire connu de termes botaniques.
  • Rembert Dodoens – Flamand (1517-1585) – qui publia en 1554 Cruydenboeck illustré de 715 gravures sur bois de plantes dont la plupart issues de l’ouvrage de Fuchs. Dodoens s’inspire de Fuchs pour la méthode de description mais la classification est personnelle. Il indique les localités et les périodes de floraison pour les Pays-Bas.
  • John Gerard – Anglais (1542-1612) – qui publia en 1597 The Herball, or, General Historie of Plantes qui est en fait un plagiat de l’œuvre de Dodoens traduite par un certain Robert Priest. Il ajoute cependant 182 espèces et ses observations personnelles. Sa première édition fourmille d’erreurs et celles-ci furent corrigées par Thomas Johnson, un apothicaire, qui publia une seconde édition en 1633-1636. A Gerard est attribuée la première description de la pomme de terre, l’une des espèces de valeur économique introduite à partir du Nouveau Monde.

3. Les systèmes artificiels de classification 

Les travaux issus de ces périodes étaient essentiellement descriptifs et suite à l’accroissement du nombre de nouvelles espèces, un système de classement apparaît de plus en plus nécessaire.

Les flores font leur apparition. Proposer des bases correctes pour un système capable d’englober le règne végétal entier, tel est le problème le plus ardu devant lequel vont se succéder les génies des Botanistes. De Linné au moins, la grande histoire a retenu le nom ; les autres sont moins connus.

  • Joseph Pitton de Tournefort – Français (1656-1708) – décrivit plus de 10 000 plantes et dans son traité Institutiones Rei Herbariae, publié en 1700, dégage les caractéristiques de l’appareil végétatif et de la corolle comme étant les plus importantes.
  • John Ray – Anglais (1627-1705) – dans son Historia Plantarum, publié en 1704, insista sur l’importance de la division en Monocotylées et Dicotylées et avait reconnu les « Tétrapétales uniformes et siliqueuses », autrement dit les Crucifères (Brassicaceae).
  • Charles Linné – Suédois (1707-1778) – dans son Systema Naturae (1735), fonde une classification sur la répartition des sexes dans les fleurs et sur la variation de l’androcée. Dans Species Plantarum (1753), il constitue 24 classes basées sur le nombre, la soudure ou non et la longueur des étamines. Un second groupement (ordres) est basé sur le gynécée, essentiellement le nombre de styles. Linné adopta d’une manière définitive la nomenclature binaire (genre et espèce), encore en usage de nos jours (voir : Bases de la nomenclature).

La classification de Linné inclut toutes les plantes connues par lui et ses prédécesseurs, mais est artificielle. Des plantes manifestement très apparentées pouvaient se trouver éloignées dans la classification si elles différaient par leur nombre d’étamines. De même des plantes très différentes se trouvaient regroupées pour le seul motif que leur nombre d’étamines était identique.

4. Les systèmes naturels de classification 

Très rapidement les successeurs de Linné se sont efforcés de construire des systèmes dits « naturels », c’est-à-dire qui respectent les affinités et les différences réelles entre les plantes et plus particulièrement entre leurs organes reproducteurs : fleurs et fruits.

  • Antoine-Laurent de Jussieu – Français (1748-1836) – est reconnu comme le fondateur du système moderne de taxinomie (ou taxonomie) (science consistant à nommer les taxons). Il divise le règne végétal en 15 classes, divisées elles-mêmes en ordres dont certains correspondent aux familles actuelles. Il abandonne la première division entre plantes herbacées et ligneuses, donne plus d’importance au nombre de cotylédons et utilise plus amplement les critères liés aux pétales et aux étamines.
  • Augustin-Pyrame de Candolle – Suisse (1778-1841) – améliore et amplifie le travail de de Jussieu. Il énonce également des principes fondamentaux de taxinomie. Aussi bon naturaliste de terrain que théoricien habile, il rédige le premier travail de géographie des plantes.
  • George Bentham – Anglais (1800-1884) – et Joseph Hooker – Anglais (1817-1911) – publient Genera Plantarum entre 1862 et 1883. Ils rassemblent 7000 descriptions génériques à partir de 200 familles des principales plantes à graines. Ce fut le dernier travail important basé sur le créationnisme. Néanmoins leur système fut à la base de la classification encore utilisée en Grande-Bretagne.

5. Les systèmes phylogénétiques

Les concepts de sélection naturelle et de liens de parenté avec un ancêtre commun éventuel, présentés dans Origin of Species publié en 1859 par Charles Darwin – Anglais (1809-1882) -, encouragent les botanistes à incorporer les concepts d’évolution dans la classification. Les systématiciens – tant pour le règne végétal que le règne animal – se sont efforcés alors de rechercher des bases de classification qui prenaient en compte les affinités naturelles des espèces mais aussi leurs liens de parenté avec un ancêtre commun éventuel.

La phylogénie était née.

Les systèmes phylogénétiques utilisés de nos jours peuvent se résumer à quatre grands systèmes de classification.

5.1 Les systèmes allemands

Plusieurs auteurs d’origine allemande et autrichienne (A.W. Eichler, R. Wettstein, J. von Sachs, A. Engler) ont conçu un système de classification basé sur l’interprétation qu’ils avaient de l’évolution des spermatophytes. Le système d’Engler situait les angiospermes ressemblant aux conifères (anémophiles ; fleurs réduites, unisexuées) à la base de la phylogénie. Les Monocotylées étaient plus ancestrales que les Dicotylées.

Quoique cette notion ait été abandonnée par les systématiciens modernes, le système d’Engler est resté un moyen de cataloguer les plantes et ceci en raison de la taille et de la qualité de Die Naturlichen Pflanzenfamilien ouvrage publié de 1887 à 1915 par Adolf Engler (1844-1930) et Karl Prantl (1849-1893). La plupart des herbiers d’Europe continentale sont encore organisés selon la séquence d’Engler.

5.2 Les systèmes anglo-saxons

Parallèlement aux perfectionnements des systèmes allemands est née une autre classification d’origine britannique et utilisée essentiellement dans les pays du Commonwealth. Ce système est basé sur deux grandes lignes de développement, l’une concernant les végétaux ligneux, l’autre les plantes herbacées.

Les fleurs considérées comme les plus primitives ne sont plus des fleurs nues et unisexuées, mais bien des fleurs hermaphrodites et munies d’un périanthe mais avec les pièces disposées en spirale. Cette organisation spiralée des pièces florales est ici considérée comme la plus primitive. Viennent ensuite les fleurs à pièces disposées en cycles successifs et enfin les fleurs nues qui sont considérées comme très évoluées. L’évolution n’aurait donc pas procédé du plus simple au plus complexe mais bien par simplifications successives.

Cette classification a été exposée par Rendle dans Classification of Flowering Plants ouvrage publié de 1904 à 1924 et par John Hutchinson (1884-1972) dans The Families of Flowering Plants dont la première édition parut entre 1930 et 1934.

Photo 1: Les Nymphéacées présentent des pièces florales nombreuses et d’organisation spiralée, un caractère primitif dans les Angiospermes.

5.3 Les systèmes américains

Durant cette période (fin 19e – début 20e siècle), les botanistes américains étaient surtout concernés par la collecte et l’identification des plantes, décrivant de nouvelles espèces, constituant des herbiers et rédigeant des ouvrages descriptifs.

A part une exception, ils n’ont guère contribué au développement des systèmes de classification qui était essentiellement le fruit du travail des Européens. Cette exception est Charles E. Bessey (1845-1915) qui propose en 1894 un système de classification qui est une modification de celui de Bentham et Hooker. Son ouvrage final The Phylogenetic Taxonomy of Flowering Plants fut publié en 1915.

Figure 1 : Arbre « à ballons » représentant les différentes sous-classes selon la vue de Bessey. La taille du ballon est proportionnelle au nombre d’espèces dans le groupe

5.4 Les systèmes récents

Après la Deuxième Guerre Mondiale, la biologie, en général, a connu des progrès spectaculaires dus principalement au développement de la microscopie électronique et aux techniques avancées en biochimie et en génétique. En botanique systématique, les botanistes se sont attachés à prendre en compte la combinaison de nombreux caractères, y compris des caractères inframicroscopiques, biochimiques et écologiques. Simultanément, mais indépendamment l’un de l’autre, deux systématiciens Armen Leonovitch Takhtadjan (1910 – 2009) en Russie et Arthur John Cronquist (1919 – 1992) aux USA ont jeté les bases d’un système synthétique, presqu’universellement accepté. Ils ne reconnaissent plus les divisions antérieures des Dicotylées en Apétales, Dialypétales et Gamopétales, mais les partagent en six sous-classes : Magnoliidae, Hamamelidae, Dilleniidae, Caryophyllidae, Rosidae et Asteridae

Figure 2 : Arbre « à ballons » représentant les différentes sous-classes selon la vue d’A. Cronquist. La taille du ballon est proportionnelle au nombre d’espèces dans le groupe.

6. La systématique et phylogénie moderne

Depuis plusieurs années, un groupe constitué d’experts internationaux, l’Angiosperm Phylogeny Group (APG) revoit l’entièreté de la classification en se basant surtout sur des caractères génétiques et en les croisant avec les données morphologiques et physiologiques (Judd et al., 2008). Une troisième version phylogénétique (APGIII) est disponible depuis 2009 (cf. Figure 3), sur laquelle se base « La Flore écologique de Belgique ». Depuis 2016, une nouvelle version (APGIV) est établie. Pour la flore de l’Europe occidentale, aucun changement majeur n’est à souligner par rapport à l’APGIII.

Figure 3 : Arbre phylogénétique des ordres et certaines familles (APGIII, 2009).

Dans cette classification phylogénétique, il est proposé de regrouper toutes les plantes terrestres, donc les Embryophytes, dans une grande classe des Equisetopsida.

L’approche phylogénétique est basée sur l’évolution des espèces. Une « lignée » regroupe l’ancêtre commun et ses descendants, il s’agit d’un clade. La détermination de cette lignée est basée sur des caractères dérivés communs, que l’on nomme synapomorphies. Les états primitifs (chez l’ancêtre commun) sont plésiomorphes. Si les caractères dérivés des nouveaux individus ou espèces proviennent de ces ancêtres, ils sont nommés symplésiomorphes. Les états dérivés de l’ancêtre sont des apomoprhies. Et donc, deux espèces dérivées d’un même ancêtre commun ou deux groupes apparentés génétiquement, présentent des caractères de synapomorphies. On peut ainsi établir des arbres phylogénétiques ou « cladogrammes » (‘evolutionary tree’) (Smith et al. 2011). Un « caractère » désignera un ensemble de caractéristiques communes (Ex. drupes des framboises ou des mûres). Un état de caractère précise la particularité de ce caractère (Ex. fleur rouge ou blanche entre deux espèces de Silene).

Figure 4 : Simple phylogénie de 3 groupes au sein de la famille des Rosideae.

L’approche, rencontre cependant plusieurs difficultés :

  • L’ancêtre est souvent totalement inconnu !
  • De nombreux caractères sont polygéniques et difficiles à déterminer.
  • Il est possible de déterminer plusieurs « arbres » logiques possibles. Dans ce cas, le principe de parcimonie estime que l’évolution la plus probable est celle qui a entrainé le moins de changements de caractères.
    Cependant, une même forme d’un même caractère peut être acquise indépendamment plusieurs fois au cours de l’évolution (= analogie), ou bien, une mutation de retour neutralise la mutation précédente (=homoplasie).

Figure 5 : Des analyses phylogénétiques ont prouvé que certains types de pièges de plantes carnivores sont apparus indépendamment au sein de plusieurs familles.

Par exemple, les feuilles modifiées en piège adhésif sont un caractère analogue entre les Byblis et les Drosophyllum (Photo 2), c’est-à-dire qu’elles sont apparues indépendamment au sein de ces 2 genres. Ces feuilles ont la même fonction et la même forme dans les deux genres, mais ne proviennent pas d’un même ancêtre commun. Il s’agit d’une évolution convergente.

Photo 2 : Une rossolis (Drosera intermedia), une plante carnivore de la famille des Droseraceae, proche des celles des Drosophyllaceae dans le grand ordre des Caryophyllales.