Biologie végétale

Écologie végétale

Causes de l’évolution du couvert végétal

L’étude du dynamisme de la végétation met en évidence la réalité d’une évolution du couvert végétal. Les causes des transformations qu’on y observe sont des plus diverses. D’une façon très schématique, il est possible de distinguer des causes autogènes, venant de la végétation elle-même, et des causes allogènes ou écogènes, extérieures à la végétation.

  1. Les successions autogènes
    1. La transformation du sol
    2. La transformation du microclimat
  2. Les successions allogènes
    1. Les variations du climat général
    2. Les variations du microclimat
    3. La transformation du sol
    4. Variation de la densité des populations animales
    5. Variation de l’activité humaine
      1. Les forêts usagères
      2. Les défrichements
      3. Les altérations récentes

1. Les successions autogènes

 La végétation modifie progressivement le sol qu’elle occupe, notamment par l’apport de matière organique. Le couvert végétal est également générateur de microclimats nouveaux. Il crée ainsi les conditions de sa propre transformation.

A. La transformation du sol

La végétation est le facteur principal de l’élaboration d’un sol à partir d’une roche-mère brute. Ce sol, à son tour, influence la composition du couvert végétal qu’il porte. Si le substrat se décalcifie, par suite de la formation d’acides organiques, les calcicoles qui y croissaient disparaîtront progressivement et un nouveau groupement végétal occupera le site. Une association végétale porte donc parfois en elle les causes de sa disparition.

Rappelons le cas des forêts, de certaines hêtraies notamment, où la litière s’accumule sur le sol sans être décomposée par des microorganismes. Avec le temps, il se forme à la surface du substrat une couche d’humus brut acide de plus en plus épaisse dont la présence élimine progressivement toutes les espèces herbacées neutrophiles. Il arrive même que les graines de l’espèce dominante ne puissent plus germer dans cet horizon organique et que les arbres qui ont contribué à le former disparaissent l’un après l’autre sans laisser de descendance.

Dans certains cas, le tapis végétal intervient de façon simplement mécanique dans les processus qui aboutissent à la transformation du substrat. C’est ainsi que les palétuviers et autres arbres des mangroves qui colonisent les vases salées des estuaires freinent la turbulence de l’eau des marées montantes et accélèrent la sédimentation des particules argileuses tenues en suspension. Le substrat surélevé est inondé moins longtemps ou ne l’est plus qu’exceptionnellement. Il acquiert de nouvelles propriétés physiques et chimiques; le sel qu’il contient pourra éventuellement être lessivé; son horizon supérieur aura le temps de s’assécher et de s’aérer. La transformation du substrat provoque, bien entendu, des bouleversements dans le tapis végétal.

De même, en Europe occidentale, un groupement pionnier à Salicornia europaea ou des peuplements de Spartina fréquemment inondés sont supplantés par un pré salé à Puccinellia maritima et Halimione portulacoides. Celui-ci, à son tour, est éventuellement remplacé par une prairie à Agropyron pungens dans laquelle croissent notamment le gazon d’Olympe, Armeria maritima, et l’armoise maritime, Artemisia maritima.

B. La transformation du microclimat  

En même temps qu’elle provoque une transformation profonde du sol, la végétation modifie le microclimat. Celui-ci, par exemple, change complètement au niveau du sol lorsque des arbustes prennent possession d’une friche qui n’est plus pâturée et que les fourrés sont, à leur tour, supplantés par une forêt. La diminution de la quantité de lumière qui atteint le substrat explique la disparition des héliophytes. La modification du microclimat thermique et hygroscopique, par la stagnation de l’air et par la présence d’un écran à une certaine hauteur au-dessus du sol, permet l’installation de plantes typiquement forestières.

2. Les successions allogènes

Toute perturbation dans l’action d’un facteur du milieu influence la végétation, éventuellement de façon considérable.

A. Les variations du climat général

Les variations du climat général, lentes mais souvent de grande amplitude, sont évidemment responsables des transformations les plus profondes du couvert végétal. C’est ainsi que le réchauffement postglaciaire, au Quaternaire récent, a déplacé les grandes zones de végétation sur notre continent. Les analyses palynologiques, dont les résultats sont confirmés par l’étude des aires actuelles des espèces, témoignent de l’installation de forêts dans d’immenses territoires occupés auparavant par la toundra ou par des steppes. Les analyses montrent également que des espèces et des groupements végétaux thermophiles, partis de stations-refuges souvent situées dans la partie méridionale de l’Europe, ont migré à travers le continent.

À côté des variations qui se déroulent à l’échelle des temps géologiques, le climat présente temporairement des aberrations qui ont souvent des conséquences importantes pour la végétation. La température peut, par exemple, s’écarter notablement de la normale, les précipitations diminuer ou augmenter brusquement dans des proportions considérables. Deux exemples montreront l’importance de ces oscillations climatiques brutales et de grande amplitude.

En juin 1990, le thermomètre descendit durant plusieurs nuits sous zéro au plateau des Tailles, en Ardenne. Les effets du gel, survenant en une saison inhabituelle, se manifestèrent notamment par le roussissement et la mort des organes aériens des fougères-aigle, Pteridium aquilinum, croissant en dehors des massifs forestiers. Les fougères croissant sous un couvert et jouissant de ce fait d’un microclimat privilégié, ne souffrirent pas du froid. Cette observation explique qu’en Ardenne, Pteridium soit pratiquement localisé dans les bois. Ses peuplements s’étendent dans les landes et dans les friches durant les années favorables mais ils en sont éliminés brutalement lorsqu’une gelée survient durant la période de végétation active.

L’été de l’année 2003 fut particulièrement chaud et sec en Europe occidentale. Le climat rigoureux de cette saison influença de façon sensible la végétation des pâtures sablonneuses aux Pays- Bas. En temps normal, ces sols portent un tapis herbacé très fleuri où l’on observe notamment Koeleria gracilis, Avena pubescens, Medicago falcata, Salvia pratensis etc. En 1977, plusieurs de ces plantes avaient disparu tandis que la vitalité de celles qui subsistaient avait fortement diminué. Le substrat, en partie dénudé, était envahi par une flore de petites plantes annuelles dont la présence modifiait complètement la physionomie et la composition de la végétation. La transformation du tapis végétal avait été provoquée par les températures élevées, atteignant 60°C, notées dans le sol au niveau de racines.

B. Les variations du microclimat

Un microclimat peut être modifié par une cause extrinsèque à la végétation. Une coupe forestière, par exemple, provoque l’intrusion brutale de la lumière dans l’espace clairiéré; les écarts de température y deviennent plus grands; l’état hygrométrique de l’air y subit des fluctuations de forte amplitude. La variation brusque du microclimat déclenche une série de réactions dans les horizons supérieurs du sol dont les composés organiques se minéralisent. Une végétation à la fois héliophile et nitrophile peut ainsi prendre pied dans les trouées et s’individualiser en groupements bien caractérisés. Dans l’ouest de l’Europe, les peuplements de Digitalis purpurea ou d’Epilobium angustifolium apparaissent plus particulièrement sur les sols acides. Atropa belladonna ou Arctium nemorosus, signalent des sols calcarifères tandis que Senecio nemorensis subsp. fuchsii, Fragaria vesca et Rubus idaeus abondent dans les sites où de l’humus doux s’était formé. Toutes ces espèces sont évidemment éliminées dès que le couvert arborescent est reconstitué.

C. La transformation du sol

La maturation progressive du sol, par l’altération des particules minérales et par l’apport de matières organiques, est généralement provoquée par la végétation elle-même. Dans certains cas, pourtant, la transformation du substrat est initiée par un facteur abiotique.

Des buissons morts d’Hippophae rhamnoides, une plante des sols calcarifères, subsistent sur certaines dunes de l’île de Terschelling, en Frise occidentale. Sous les branches dénudées de ces arbustes croissent, avec une vitalité parfaite, Empetrum nigrum et d’autres acidiphiles. L’explication du phénomène est simple. Le sable des dunes est relativement pauvre en calcaire mais en contient initialement en suffisance pour que des espèces calcicoles puissent s’y installer. Hippophae est une de ces plantes; elle occupe les dunes dont le sable n’est plus mobile. Les eaux des pluies percolent dans le sol et lui enlèvent progressivement les carbonates qu’il contient. Après une dizaine d’années environ, la diminution des réserves carbonatées due au lessivage par les eaux de pluie est telle qu’un seuil est atteint au delà duquel Hippophae ne peut plus végéter. Les arbustes meurent alors en peu de temps et la végétation de la dune subit une véritable métamorphose puisqu’une lande des terrains acides remplace des fourrés basiphiles-neutrophiles.

Les changements observés dans le sol peuvent prendre une allure catastrophique lorsque le substrat subit un « rajeunissement » brutal et redevient squelettique.

Des groupements végétaux « dégradés » remplacent alors des associations plus « évoluées », c’est-à-dire à structure plus complexe. Le phénomène apparaît notamment lorsque l’eau des pluies ruisselle librement sur une surface en pente dont le manteau forestier a été exploité. Lors de chaque averse, de la terre humifère est emportée vers l’aval, mettant à nu les cailloux, faisant affleurer les bancs rocheux. Il arrive un moment où la destruction du sol est telle que la forêt ne peut plus se réinstaller. Une végétation, essentiellement constituée d’héliophytes capables de vivre dans un sol de très faible épaisseur, occupera alors le site. Le phénomène s’est déroulé sur d’immenses surfaces dans la région méditerranéenne. La forêt de chêne vert, Quercus ilex, détruite par l’homme, y a été remplacée par des garrigues buissonnantes et par des maquis denses. Souvent même, la dégradation du couvert végétal a été poussée plus loin. On observe alors une végétation ouverte, particulièrement riche en thérophytes, installée sur un substrat rocailleux et aride.

La destruction du sol et, en corollaire, celle du tapis végétal sont parfois très lentes. Dans d’autres cas, la transformation est rapide. Une inondation peut, en effet, recouvrir de sédiments une plaine alluviale, une épaisse couche de poussières est parfois crachée par un volcan en éruption, un incendie ravage une forêt, un glissement de terrain emporte la couche supérieure du sol… Dans tous ces cas, un sol rajeuni, parfois vierge, est offert à la vie végétale.

D. Variation de la densité des populations animales

La composition du couvert végétal est modifiée lorsqu’une variation survient dans la densité des populations animales. Les transformations que subissent les paysages botaniques lorsque rongeurs et ruminants pullulent sont importantes. La dégradation progressive des forêts de l’Asie occidentale ou d’Afrique du Nord, leur remplacement par des groupements arbustifs de plus en plus ouverts, éventuellement la dénudation presque complète du sol, doivent essentiellement être imputés à l’augmentation inconsidérée du nombre de chèvres et de moutons. De même, la multiplication rapide des troupeaux d’antilopes ou d’éléphants peut provoquer un changement notable dans la physionomie des savanes, celles-ci devenant de plus en plus pauvres en espèces ligneuses. Dans notre pays, en forêt feuillue tempérée, la pression du grand gibier est actuellement trop forte et empêche la régénération naturelle.

On ne sait pas grand chose des effets de la raréfaction ou de la surabondance des individus d’une espèce animale qui assure la pollinisation ou la dissémination des semences de certains végétaux.

E. Variation de l’activité humaine

Le progrès des techniques d’exploitation des richesses naturelles se manifeste souvent de façon spectaculaire dans le tapis végétal. Qu’on pense aux changements apportés par les colonisateurs européens, en quelque trois cents ans, à la végétation d’immenses territoires des États-Unis d’Amérique, de l’Argentine, de la Nouvelle-Zélande ! L’intervention de l’agriculteur est d’ailleurs souvent d’une grande brutalité, qu’il coupe ou incendie une forêt, qu’il défriche une lande, qu’il chaule une prairie, qu’il draine un marécage, qu’il irrigue un pré sec, qu’il répande des pesticides ou qu’il introduise, parfois de façon inconsidérée, des espèces végétales exotiques. Dans tous les cas, des groupements végétaux nouveaux, parfois foncièrement différents de ceux qui les ont précédés, apparaissent sur les aires où l’intervention humaine s’est exercée.

Le paysage végétal se modifie également lorsque l’action humaine cesse de se manifester. Dans nos régions, une lande ou une pelouse se boise spontanément lorsqu’elle n’est plus parcourue par les troupeaux et que des incendies ne viennent plus inhiber la croissance des espèces ligneuses. Nous savons que la forêt qui apparaît sur ces surfaces est souvent différente de celle que l’homme a détruite et qui fut remplacée par un groupement de petits buissons ou par des herbages.

En particulier, les géophytes se réinstallent très lentement car leurs facultés de dispersion sont faibles. Il faut au moins 30 ans pour voir réapparaître la mercuriale, Mercurialis perennis, le gouet, Arum maculatum et plus de 80 ans pour l’anémone, Anemone nemorosa, ou le sceau de Salomon, Polygonatum multiflorum. Certains auteurs ont ainsi introduit la notion d’espèces de forêts anciennes (Hermy, 1992).

Dans le contexte des forêts européennes et méditerranéennes, les relations entre l’homme et la forêt couvrent plusieurs millénaires, avec bien souvent une surexploitation qui a été le point de départ de séries régressives.

i. Les forêts usagères

Depuis le néolithique, les forêts ont été soumises à l’agriculture itinérante et au parcours des troupeaux. Des débuts de rationalisation de l’utilisation de la forêt sont apparus à l’époque gallo- romaine; par la suite, s’est progressivement installée, la notion de forêts usagères. Par opposition aux forêts « réservées », les forêts usagères ou bois (du germanique bosc) ont été concédées aux communautés rurales pour leurs besoins domestiques; elles sont exploitées en taillis pour le chauffage et, avec les besoins croissants à des révolutions de plus en plus courtes. Peu à peu, s’introduisent de nouveaux usages plus ou moins destructifs mais commandés par la nécessité de nourrir la population, et de maintenir la fertilité des champs avant l’avènement des engrais (Mazoyer & Roudart, 1998).

i.1 La culture en forêt 

  • L’essartage

L’essartage désigne, au sens strict, l’enlèvement des essarts, c’est-à-dire des broussailles dans le bois. En Ardenne, et dans les régions limitrophes (Dumont, 1974 ; Hoyois, 1981) l’essartage désigne une pratique ancestrale intimement associée au traitement en taillis et qui a débuté dès le premier siècle de notre ère. A des intervalles de 20 à 30 ans, certains cantons forestiers étaient rasés pour l’approvisionnement en bois de chauffage. Ensuite les brindilles et herbes sèches étaient brûlées sur place (feu courant) ou bien en tas recouvert de mottes de gazon (feu couvert). Après un labour sommaire, l’agriculteur y semait du seigle, de l’avoine ou du sarrasin. Après un an, rarement 2 ou 3, le terrain abandonné se recouvrait de genêt, Cytisus scoparius, dont les branches étaient utilisées comme litière; cette légumineuse enrichissant le sol en nitrates était parfois semée. Pendant les 3-4 années de la phase à genêt, les souches des arbres rejetaient et reconstituaient le taillis. Près de 20 communes belges pratiquaient encore l’essartage en 1908. L’équilibre de la forêt se maintient sans grand mal si la révolution est longue, le cycle cultural court et si le genêt contribue à restaurer la fertilité azotée du sol. L’abus de l’essartage se manifeste par l’allongement de la période culturale, le raccourcissement de la révolution du taillis, le prélèvement abusif de genêts, l’extension du taillis jusque dans la futaie.

Un très grand nombre de noms de villages révèlent l’extension de cette pratique dans nos régions (Vieux Sart, Petit Sart, Sart Tilman, ….).

  • L’écobuage

L’écobuage désigne l’acte par lequel on enlève la végétation en prélevant aussi l’humus et une partie des organes souterrains des végétaux. Il s’agit en quelque sorte d’un pelage. Les produits de ce pelage sont brûlés en tas et les cendres sont ensuite dispersées. L’écobuage était surtout pratiqué sur les sols paratourbeux. Comme dans le cas précédent, la forêt reprend ses droits après la récolte des céréales. L’abus d’écobuage manifeste ses effets destructeurs encore plus rapidement que l’essartage car il est très favorable à l’érosion sur les pentes.

i.2 L’exportation de matière organique

  • Le cendrillage

Il consiste à brûler en tas ou parfois en fourneau (fournellage) le bois et les végétaux de la strate herbacée de façon à exporter les cendres vers les terres cultivées en permanence. Comme pour les pratiques suivantes, il s’agit d’une perte directe et massive en éléments biogènes pour l’écosystème.

  • Le râtelage

Il désigne l’enlèvement au râteau des branches, brindilles au sol et de la litière, pour être transférés vers les champs. Il respecte l’humus en place mais il empêche son renouvellement. Les forêts du Luxembourg belge étaient soumises à un râtelage intensif au XVIIIe siècle. La culture florale fut elle une grande consommatrice d’humus en Flandre.

  • Le soutrage ou étrépage

Le soutrage ou étrépage désigne l’enlèvement de la couverture végétale, morte ou vivante, herbacée ou frutescente. Il se faisait quelquefois à l’aide d’une faux spéciale (étrèpe). Le procédé était tellement brutal que le sol semblait avoir été emporté.

i.3 Le parcours des troupeaux (parcage)

Dans certaines conditions la forêt était parcourue par des troupeaux (forestage). Ceux-ci paissaient dans les bois sous la surveillance d’un gardien; les porcs étaient conduits en forêt (panage) pour se nourrir de glands ou de faines. Les bovins se nourrissaient de la strate herbacée. Mais comme pour les droits d’usage précédents, certains parcours ont été excessifs. Ils étaient souvent combinés avec les pratiques d’essartage et d’écobuage. Les essarts sont livrés aux troupeaux dès la fin des moissons. Les ajoncs et les genêts ne peuvent plus se développer et restaurer la fertilité en nitrates. Les rejets des taillis sont broutés au fur et à mesure de leur apparition. Cette forme de pacage (libre ou vagabond) est, beaucoup plus que l’essartage lui-même, à l’origine de la dépréciation de la forêt ardennaise (Hoyois, 1981).

Ajoutons encore à cela la pratique des feux pastoraux qui entrave la réinstallation des essences ligneuses et favorise le développement de pyrophytes herbacées.

i.4 L’exploitation industrielle

Une autre cause des dégradations réside dans la surexploitation commandée par la nécessité d’approvisionner l’industrie.

  • La sidérurgie : en Ardenne, en Lorraine et dans l’Entre-Sambre-et-Meuse, dès l’époque romaine, on a exploité de petits gisements de fer. Cette industrie prit de l’extension vers les années 1200 et s’est accrue au fil du temps; elle fluctuera en fonction du degré d’activité des forges. Le XVIIIe siècle se marque par une spectaculaire reprise des activités artisanales et industrielles, associée à une nette augmentation de la population alors que les progrès de la houille sont encore trop timides pour réduire l’intérêt du charbon de bois. Selon Donny (1925), au milieu du XVIIIe siècle, un fourneau consommait en moyenne 900 bennes de charbon de bois et une forge 250; pour produire une benne il fallait 6 cordes (de 6 pieds carrés). Pour l’Entre-Sambre-et-Meuse la consommation était de 120.000 cordes. Vers 1790, on compte encore dans les Pays-Bas 45 hauts fourneaux et dans le Pays de Liège 18 fourneaux, 13 forges et 4 platineries. L’intensité de ce « charbonnage » est encore attestée aujourd’hui par les nombreuses traces d’aires de fauldes.
  • La verrerie : cette industrie est déjà florissante au XIe siècle. Vers le XVIIIe siècle apparaît une nouvelle forme d’exploitation des forêts : la récolte des ramilles, du bois mort et des fougères qui, brûlés et lessivés, fournissent des sels de potasse utilisés en verrerie mais aussi en tannerie et dans les filatures. Cette pratique ne prendra fin qu’avec la fabrication industrielle de la soude.
  • La tannerie: citée dès le XIe siècle, répandue à partir du XVe siècle, elle atteignît son plein développement au XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, mais déclina très rapidement au début du XXe siècle. Cette industrie consommait d’énormes quantités d’écorces de chêne (riches en tannins). Elle a survécu jusque vers 1930 dans l’Ardenne verviétoise et les régions d’Eupen et de Malmédy, plus tard dans l’Oesling.

i.5  Les conséquences

D’une manière générale, on peut dire que la surexploitation des forêts a abouti à une évolution régressive amenant, dans les cas les moins graves, l’installation de groupements de substitution du Quercion robori-petraeae et du Carpinion betuli. A la fin du XIXe siècle, il ne subsistait plus en Ardenne que quelques lambeaux de la futaie paranaturelle; encore actuellement et malgré les enrésinements, la chênaie-boulaie secondaire représente 40% des forêts feuillues de la province de Luxembourg. De nombreuses chênaies-charmaies sont des substitutions de la hêtraie ; le caractère de substitution se manifeste par exemple par une régénération possible du hêtre, contrairement aux chênaies-charmaies naturelles.

L’abus des droits d’usage a aussi amené une régression plus grave, avec des peuplements de plus en plus clairièrés. La dernière étape est atteinte lorsque la régénération des essences forestières n’est plus possible à la suite des parcours excessifs, des fauchages répétés, des feux pastoraux. La forêt est remplacée, en de nombreux endroits, par des landes et des pelouses sur les sols relativement secs et par des prairies sur les substrats humides.

Sur les sols acides, se répandent des espèces telles que: Vaccinium myrtillus, Calluna vulgaris, Galium saxatile, Cytisus scoparius, Hieracium sp. Par l’humus qu’elles produisent, ces espèces accélèrent et accentuent les processus de podzolisation (en passant d’abord par un micropodzol de surface). Le stade ultime correspond aux landes des Nardo-Callunetea. Sur les substrats calcaires, apparaissent les fourrés des Prunetalia spinosae et les pelouses des Brometalia erecti.

La carte du Cabinet des Pays-Bas autrichiens (Ferraris, 1775-1778) montre à cette époque d’énormes surfaces occupées par les landes, surtout en Ardenne. A la place de ces dernières on observe actuellement en bon nombre d’endroits des chênaies secondaires (de substitution) issues de l’abandon de ces pâturages. Ailleurs, elles ont été enrésinées et il n’en reste plus actuellement que quelques fragments. C’est la raison pour laquelle, dès l’indépendance de la Belgique, la loi de mise en valeur des incultes (1847) a incité propriétaires privés et publics (communes) à planter massivement des épicéas (sur sol acide, donc landes et même tourbières) et des pins (sur sol calcaire, donc sur les pelouses calcicoles).

ii. Les défrichements

Outre la disparition de la forêt sur de grandes surfaces, les défrichements ont plus ou moins profondément altéré les groupements forestiers résiduels. A grande échelle, le cas le plus flagrant est celui de la disparition d’un effet de masse qui a entraîné la progression des savanes dans la zone des forêts sèches intertropicales. Dans le même ordre d’idées, les boqueteaux et les petits bois isolés dans de vastes espaces agricoles ne disposent plus d’un espace critique suffisant pour constituer des groupements complets.

Plus localement, les défrichements liés à un contexte oro-topographique particulier ont induit des modifications sensibles du topo-climat. On peut citer l’exemple des fonds de vallées de l’Ardenne où, sur les bas de versants, on rencontre des individus de groupement du Luzulo-Quercetum à myrtille sur des sols bruns limoneux. Ceux-ci ont pris la place des groupements climaciques à la suite d’une ouverture des vallées qui a favorisé l’accumulation d’air froid.

 iii. Les altérations récentes

Les techniques du XXe siècle en matière d’assainissement des sols ont permis notamment de modifier la succession normale des hydrosères. Ainsi par exemple, le drainage des aulnaies oligotrophes à mésotrophes permettant la plantation de peupliers, de frênes, de chênes a induit un enrichissement en espèces nitrophiles à méso-neutrophiles pour donner des groupements qui ressemblent à ceux de l’Alno-Padion. Lorsqu’elles sont laissées à elles-mêmes, ces forêts évoluent vers un stade assez différent du climax initial, à moins que l’obturation des drains ne contrarie cette évolution.

La circulation d’engins lourds est elle aussi la cause de dégradations locales, mais diffuses, dans l’ensemble des massifs. La flore (les joncs par exemple) des ornières de débardage est caractéristique des sols tassés, compacts et imperméables à faible profondeur. Elle n’a rien à voir avec la végétation de l’individu de groupement originel. Ces engins permettent également l’expansion rapide d’espèces exotiques envahissantes (Impatiens parviflora en forêt, Fallopia japonica et Impatiens glandulifera le long des berges ….).